Pour toute une génération de photographes québécois, Antoine Desilets est un mentor, un professeur, une inspiration. Ses livres ont appris à de jeunes adolescents, comme à moi à l’époque, à apprendre la photographie, à maîtriser l’appareil et à passer de longues heures dans une chambre noire. Considéré comme le père du photojournalisme au Québec, il y a d’ailleurs un prix de photojournalisme à son nom, il est respecté tant par l’éducation donnée que par la qualité et la quantité de son oeuvre.
Lorsque mon ami Jules Nadeau m’a fait part qu’à une époque, en 1974 pour être précis, il a fait une entrevue avec Antoine Desilets et qu’il avait quantité de photos du maître en action, ma curiosité de voir ces photos ont fait que j’ai hérité des plusieurs négatifs que Jules m’a légués. Je pense qu’il est important pour l’histoire de la photographie du Québec de les rendre publiques et de les partager avec vous. J’ai aussi demandé à Jules de rédiger un texte sur cette rencontre.
François Nadeau
Maître Antoine Desilets au bout de l’échelle
Texte et photos: Jules Nadeau
C’était presque effronté de vouloir photographier le photographe Antoine Desilets. Passe encore d’écrire un papier sur lui, malgré ses réticences, malgré sa discrétion, mais pour illustrer mon article, je devais vraiment me surpasser.
Sans aucune introduction, je me présente à lui dans les locaux du quotidien Le Jour en 1974 où j’allais de temps à autre vendre ma salade. Je ne lui avais jamais adressé la parole, mais on se connaissait de vue. Sans plus. Bingo! Il accepte que je rédige un article de fond sur lui. Sans aucune condition de sa part.
Je possédais bien deux Nikon que je venais d’acheter au Japon, mais pour compenser pour mon manque d’expérience, je devais trouver un truc pour réussir à sortir des images hors de l’ordinaire. Ayant entendu parler de la réputation d’Antoine Desilets comme étant genre photographe-pompier, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire: toujours prêt, très vite, capable de livrer la marchandise, j’ai eu une idée. Une idée de fou, je me rends compte aujourd’hui. Plus de 40 ans plus tard.Je lui ai proposé tout de go de le faire monter jusqu’au bout d’une échelle de pompier devant la caserne de la rue Rachel. Je connaissais très bien le coin parce que mon grand-père Ernest a vécu dans la maison au-dessus de ce qui est aujourd’hui le restaurant à poutine la Banquise.
L’homme de 47 ans a accepté de faire ce numéro de cirque, sans sourciller ni rechigner. Jusqu’au top, au 7e ciel. (Avec la complicité des pompiers qui le connaissaient encore mieux que moi.) Comme si je lui avais demandé d’aller jaser devant une tasse de café dans un Murray’s.
Pour ce qui est de la recherche sur le personnage, j’avoue ne pas avoir tellement creusé. Pas des heures d’entrevue, pas de scoop, sinon que je l’ai suivi dans quelques assignations. Plus tard, dans mes années à La Presse, un ancien de ses collègues m’a parlé de son côté… comment dire… pas très syndical, parce qu’il ne comptait jamais ses heures de travail. «Même quand il allait au resto avec sa femme, le samedi soir, il transportait avec lui son kodak.»
Photo de Antoine Desilets
Si je me souviens d’Antoine Desilets comme le gars du bout de l’échelle, l’autre souvenir demeure profond et durable. Il m’a donné une bonne leçon de photographie pendant que je le braquais. «Tu boostes. Tu survoltes tes films à plus de 1000 ASA. Tu cliques même sans viser. Dix fois pour en avoir la bonne. Pis souvent le grand angle. Pas besoin d’avoir toutes tes photos bien cadrées, bien belles, sur ta planche contact. Le restant, j’arrange tout ça en chambre noire», me dicta-t-il.
En voyageant ensuite dans plusieurs pays, notamment en Chine dans les années 70, où il fallait faire vite pour saisir des scènes de vie quotidienne (au grand dam des guides), mon «Désilets 101» m’a été fort utile.
Merci Antoine!